« On l’a pas souhaité mais c’est la guerre » Mafia K’1Fry
Depuis peu la lutte contre la Très Haute Tension en Haute-Durance (Hautes-Alpes) est passée à une opposition concrète et active. tags, blocages, sabotages : la question de la violence est alors posée. C’est une problématique récurrente des actions collectives : quand les moyens légaux et démocratiques ont prouvé leurs limites, quels types d’actions proposer, comment s’organiser pour faire entendre ses idées et résister concrètement ? L’action directe, qu’elle qu ‘en soit son ampleur et sa radicalité (du pneu d’engin de chantier crevé à la séquestration du patron en passant par l’occupation, le blocage ou la simple campagne d’affichage en dehors des cadres prévus à cet effet) amène toujours une réaction de l’État qui défend ses intérêts et œuvre pour maintenir l’ordre. La répression s’applique à punir ces modes d’action illégaux, souvent en prétextant de leur violence. Toute infraction à la loi représente une forme de violence et la lutte devrait se cantonner au champ de la représentativité citoyenne. Il est évident que le propre même de la lutte et de l’action collective est de sortir de ce rayon d’action pour exister. Il s’agit donc de défendre ensemble des discours et des actes qui, loin de se circonscrire à la seule définition qu’en fera l’État, s’auto-définissent comme les moyens de résister ensemble. On ne discute pas avec son patron de la moralité de la grève, on ne peut pas convaincre RTE de la légitimité de bloquer ses chantiers, on impose, dans la limite de ses capacités, un état de fait qui ne s’adresse pas seulement à ceux que l’on combat mais aussi au reste de la société afin de porter son discours le plus loin et le plus fort possible.
L’État a le monopole légal de la violence. L’État a la légitimité de matraquer, enfermer, tuer. La peine de mort est abolie et pourtant l’État tue toujours, que ce soit dans les quartiers, les manifs ou à travers les guerres menées à l’extérieur de ses frontières. La violence n’est jamais une fin en soi, elle est un moyen d’arriver à ses objectifs. Celle de L’État lui permet d’asseoir sa domination et de garantir la paix sociale. La société de classe est violente en elle-même : exploitation au travail , frontières et politiques migratoires, pauvreté, justice, guerres…
Lorsque l’on discute de la violence d’un acte, on n’apprécie pas son « degré de violence en soi » comme s’il existait une échelle répertoriant soigneusement et objectivement chaque comportement pour définir s’il est moralement acceptable. Non, on pose toujours la question de la légitimité de cette violence. La violence de l’État est légitime car elle est légale : celui qui décide des règles du jeu impose sa propre échelle de violence.
Cette violence, nous l’avons subie au cours de la lutte, portée par les gendarmes « du coin » avec leurs convocations, leurs interpellations ainsi que par le PSIG à Chorges avec matraques et gazeuse. En réponse à ce début de répression, un seul type de discours est apparu dans les médias : On a pu lire qu’ Avenir Haute Durance déclarait que les « dégradations nuisaient à leurs recours et qu’ils n’en étaient pas à l’origine » tandis que suite à l’événement de Chorges, le collectif NOTHT affirmait qu’il « ne répondrait pas à la violence par la violence ».
Les journalistes quant à eux, disent de Chorges que c’est : « une manif qui dégénère » et « des échauffourées ». Ces deux termes impliquent des échanges violents entre les deux parties alors qu’ils étaient malheureusement à l’initiative et à l’avantage des flics. Ils évoquent aussi la présence de « zadistes ». « Zadiste » est un vocable médiatique et policier pour dire « écolo-radical-violent », personne ne s’en revendique. « zadistes » comme « casseurs » sont toujours utilisés pour justifier les interventions des forces de l’ordre et pour créer, au sein des mouvements, une division entre « bons » et « mauvais » manifestants. Tenir cette position de la division entre ceux qui auraient des pratiques acceptables et les autres, les « fauteurs de trouble », c’est jouer le jeu du pouvoir et affaiblir le mouvement.
Ce que l’on a pu constater lors de la tentative d’expulsion de la ZAD de Notre Dame des Landes, c’est que les manifestations pacifiques alliées à l’affrontement direct avec les forces de l’ordre ont porté leurs fruits: l’opération répressive a échoué, la ZAD existe toujours ( pour l’instant) et une partie des travaux est suspendue en attendant le résultat des recours légaux.
La question n’est donc pas la légitimité de la violence mais l’efficacité des modes d’actions envisagés : comment faire pour agir ensemble, se coordonner avec des pratiques différentes pour parvenir à empêcher un projet.
Il est important, dans chaque lutte, de ne pas s’arrêter à ce que l’état réprime et juge violent ou illégal. Se dissocier d’actes « violents », c’est condamner d’avance les personnes qui en seront accusées et collaborer à la répression. Quel est l’intérêt de crier spontanément son innocence si ce n’est chercher la reconnaissance de L’État et le confort d’une place d’interlocuteur légitime. C’est sortir du terrain de la lutte pour entrer dans le rôle du partenaire social : celui de la cogestion.
Face à la répression médiatique ou policière, la solidarité c’est se réapproprier collectivement les discours, les actes et les pratiques qui constituent la lutte.
Lutter amène à remettre en question le processus démocratique et à affirmer sa volonté de dépasser les modes d’expression que nous concède la démocratie, aller au-delà du rôle du citoyen qu’elle veut nous voir tenir. Cette remise en question pousse à envisager de nouvelles problématiques au delà des enjeux de la construction de nouvelles lignes à très haute tension : la critique du monde qui produit ces lignes c’est-à-dire la critique de l’État et donc du capitalisme dont il défend les intérêts.
Pour que les lignes THT ne se construisent pas.