THT Baixas-Bescano : sous la ligne, il y a des hommes
20 MAI 2015 | PAR FELIP CAZAL
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La ligne à très haute tension (400 000 Volts) de Baixas (Pyrénées-Orientales) à Bescanó (province de Gérone) a été officiellement inaugurée le 20 février 2015. Pendant quinze ans, des citoyens se sont élevés au Sud comme au Nord des Pyrénées contre ce projet. Ils défendaient les paysages, l’environnement, la santé des populations mais ils affirmaient aussi un choix de société : à une politique énergétique mue, selon eux, par le mercantilisme, ils ont opposé une vision durable et l’intérêt des usagers.
Ce dossier a été réalisé par Michel Maners et Philippe Cazal.
Le projet de ligne très haute tension (THT) Baixas-Bescanó (1) est apparu en 2001, lors d’un accord franco-espagnol. L’Union européenne a fixé en 2002 un objectif d’interconnexion entre les pays membres de 10 % des réseaux d’ici 2020 et parle de 15 % en 2030. Les gouvernements français et espagnol se sont concertés, à de nombreuses occasions, pour aborder la manière de réaliser cette politique, en ce qui concerne les échanges entre les deux pays.
Baixas
La traversée des Pyrénées par l’électricité n’est pas nouvelle, avec à ce jour 41 connexions transfrontalières, mais il s’agissait pendant longtemps uniquement de lignes haute tension. Avant le projet qui vient d’être inauguré, seules deux lignes très haute tension existaient : la plus ancienne par le Col d’Ares (Prats-de-Molló, Pyrénées-Orientales), qui va de La Gaudière (près de Lézignan-Corbières, Aude) à Vic (province de Barcelone) en passant par Baixas (près de Rivesaltes) ; la deuxième par la côte basque, entre Cantegrit (Bayonne) et Hernani (province de San Sebastián), passée en THT en 1971.
Depuis longtemps RTE et REE (2) cherchent des sites pour renforcer l’interconnexion et les projets se sont souvent heurtés à l’opposition des populations concernées. En 1984, un projet par le Pays Basque a vite été abandonné. En 1996, le projet Cazaril-Aragon, par la Vallée du Louron (Hautes-Pyrénées), est abandonné alors que les travaux ont déjà commencé côté espagnol. A la même époque un tracé par le Couserans (Ariège/Haute-Garonne) fait long feu.
15 ans de lutte sans relâche
Le projet de ligne THT par les Albères était, paraît-il, dans les cartons de RTE (et de REE ?) depuis les années 1980. Quand il apparaît au grand jour en 2001, il soulève tout de suite une forte opposition : le collectif « Non à la THT » se constitue en Catalogne Nord, regroupant des associations et des individus ; le collectif « No a la MAT » se constituera un peu plus tard en Catalogne Sud.
Au fil des luttes les deux collectifs se coordonnent plus ou moins. En France, les élus se regroupent au sein du Sydeco THT 66 (Syndicat de défense des communes contre la THT). Des manifestations sont organisées, avec succès : 10 000 personnes le 31 mai 2003 à Perpignan, 1 500 le 19 octobre à Gérone, 6 000 le 31 janvier 2004 à Perpignan, 4 000 à Céret en septembre 2004, 5 000 au Perthus début 2005, 15 000 à Perpignan le 1er mars 2008, 12 000 à Gérone le 30 mars 2008.
En France, conformément à la loi sur les grands projets, un « Débat Public » a lieu de mars à juillet 2003 sur le projet de ligne en aérien. Il met en évidence la forte opposition de la population et des élus. Même si les conclusions d’un Débat Public n’ont qu’un caractère consultatif, la pression de l’opinion publique et des élus est assez forte pour que le gouvernement français demande fin 2003 à RTE de retirer le projet initial.
A ce moment-là, RTE étudie la possibilité de doubler la ligne existante de 400 KV (3) entre La Gaudière et Vic (par le Col d’Ares), mais évoque aussi une bifurcation de cette ligne en Vallespir, entre Corsavy et Montferrer vers le Mont Capell (commune de Saint-Laurent-de-Cerdans) puis côté espagnol vers Maçanet de Cabrenys, Darnius et Figueres. Une façon d’essayer de contourner l’opposition au tracé par le Perthus.
Mais l’opposition ne faiblit pas. Le 12 août 2004, 14 maires du Vallespir signent le « Serment de Montferrer », par lequel ils s’engagent à refuser toute discussion séparée avec RTE (comme l’avaient fait, à travers le Sydeco, les maires de la plaine). Comme on l’a vu, les manifestations continuent. A cette époque, RTE dit qu’enterrer la THT est « techniquement impossible et trop coûteux ». Et une étude d’une ligne sous-marine estime que celle-ci coûterait 150 fois plus cher que l’aérien.
De Montferrer devait partir la bifurcation de la ligne Baixas-Vic vers le Mont Capell.
Le déblocage de la situation s’annonce avec la nomination en septembre 2007, comme coordonnateur du projet, de Mario Monti, ancien commissaire européen au Marché intérieur puis à la Concurrence. Monti préconise d’enterrer la ligne. Il est probable que la participation financière de l’Union européenne ait alors été avancée pour convaincre les gouvernements français et espagnols.
En janvier 2008, Nicolas Sarkozy et José Luis Rodríguez Zapatero, lors d’un sommet franco-espagnol, annoncent leur volonté de réaliser le projet. En février, Jean-Louis Borloo, ministre français de l’Écologie (4), dit que l’enfouissement de la ligne est à l’étude. En juin, c’est Mario Monti qui annonce la décision de l’enfouissement entre Baixas et Santa Llogaïa. A partir de là, côté français, une concertation (5) avec RTE se déroulera, en 2009 et 2010 (un nouveau Débat Public n’ayant pas été jugé opportun). A travers un travail en commission, élus et représentants des associations pourront poser un certain nombre de questions, en particulier sur les conséquences de la ligne sur la santé et sur l’environnement.
La station de conversion de Baixas, point de départ de la nouvelle ligne THT.
Pas question, par contre, de discuter du tracé en plaine, non négociable. Mais le débat a réellement eu lieu sur le tracé à travers les Albères : à la demande de la société civile, la version de tranchée sur pistes forestières a été abandonnée et le choix s’est porté sur un passage en tunnel.
En Catalogne Sud, le combat continue pour que la ligne soit enterrée jusqu’à Bescanó. Mais le gouvernement espagnol et la Généralité (6) ne veulent rien entendre. Les opposants se battent aussi pour que le tracé respecte des distances de sécurité par rapport aux maisons, ce qui ne sera pas toujours le cas, loin de là.
Les travaux ont démarré en 2012. Aujourd’hui, la ligne va rentrer en service. Nous donnons la parole, ci-après, à quelques uns de ceux qui, au Sud et au Nord, se sont battus contre ce projet.
1) THT (très haute tension) ou MAT (molt alta tensió).
2) RTE (Réseau de Transport d’Électricité) en France, REE (Red Eléctrica de España) en Espagne, sont les entreprises qui détiennent le monopole du transport d’électricité.
3) 400 KV (Kilo Volts) = 400 000 Volts.
4) Plus précisément, ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement et de l’Aménagement durables.
5) Sur la concertation, voir le dossier du Débat Public : http://www.debatpublic.fr/node/1196
6) Le gouvernement autonome catalan.
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